Marc Sayous | Songes et formes

Les arts se sont développés plus que nature. Partout la musique triomphe, les musées émergent, l'image s'échange et abreuve le flux des identités, personnelles ou sociales. Gravures, peintures, photographies et cinématographies, concerts, performances, chansons et poèmes, objets ciselés ou architectures stylées sont devenus valeurs d'échange, en grande abondance, consommées en masse, accessibles aisément. Souvent prévisibles, ces œuvres se succèdent l'une à l'autre et finissent par évoquer le ballet immuable des générations dont elles deviennent la métaphore. Comme les accouchements difficiles, les révolutions artistiques se font plus rares. A quoi bon puisqu'il y en a pour tout le monde sur le grand marché horizontal où tout serait égal et classifié ? L'ère de la reproduction démultiplie l'œuvre originale, la source première, individuelle et parfaitement unique. Elle érige le produit et si l'étonnement reste encore son espoir, elle peut néanmoins s'en passer. Le moyen a pris le dessus sur la fin. L'artiste "n'œuvre" plus, il parle de "son travail" à la télévision, à la radio ou dans les magazines. Au cœur des grandes foires de l'art déclaré contemporain depuis si longtemps, la monnaie fait inexorablement référence et suit son cours pour sanctifier le héros producteur, cet homme capital.

L'abondance assurera-t-elle la richesse future, manifestée par des sens plus aiguisés, plus éduqués au gré d'une grande quantité d'ouvrages disponibles ? ou sera-t-elle avant tout le signe d'une standardisation des arts, productions complètement normées, calibrées au millimètre en milliers d'expressions comparables, sympathiques et inoffensives, comme une petite Tour Eiffel dorée destinée au souvenir ? Bien imprudent est celui qui peut imaginer une réponse définitive et satisfaisante à ces questions, en temps réel. Je ne crois pas aux noires hypothèses, annonçant le paradis perdu qui peut-être n'exista jamais. 

Comme toujours, les formes indomptées galopent dans les champs de l'imaginaire. Elles courent sans fléchir, sauvages et libres d'apparaître sans prévenir pour renverser le paysage et élargir les perceptions. Les formes indomptées - hordes agitées ou solitaires isolées - se nourrissent de vertes émotions qui poussent sur les terres inexplorées ; elles s'abreuvent dans les sombres océans de l'âme humaine qui se sait toujours singulière. Je veux m'en souvenir et ici essayer de m'en approcher pour les charmer. 

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